Quel rapport à la violence ?

Par définition, une révolution signifie une rupture brutale de l’ordre juridique. Les réformistes sont légalistes : les changements institutionnels doivent selon eux être réalisés dans le respect de l’ordre juridique existant, ils condamnent donc la désobéissance civile et les actions extra-légales.

À l’inverse, les révolutionnaires refusent de cantonner les formes de lutte au seul registre de la légalité, et lui opposent celui de la légitimité. Ils et elles considèrent que le droit, même établi selon des procédures formellement démocratiques, est avant tout une cristallisation à un moment donné des rapports de force sociaux : dans une société régie par le capitalisme, le droit est capitaliste, notamment parce qu’il sanctuarise la propriété capitaliste. Si les rapports de force politiques changent en leur faveur, les forces sociales progressistes ne peuvent s’autolimiter à la stricte légalité sans précipiter leur défaite.

De plus en plus, face au mur autoritaire de l’État néolibéral, les mouvements sociaux recourent à la désobéissance non violente et à l’action extra-légale. C’est utile et même indispensable, quand la légitimité des objectifs visés et des méthodes employées est claire aux yeux d’une grande majorité de la population. Ainsi, les avortements clandestins ou les expériences autogestionnaires du type Lip dans les années 1960-70, les occupations de logements vides, les fauchages de plants OGM, les actions de désarmement des méga-bassines ou des sites de production de béton, ou même les déprédations de boutiques de luxe, sont des pratiques illégales mais le plus souvent comprises par l’opinion publique et qui contribuent au rapport de forces social. Le soutien populaire aux Gilets jaunes et aux Soulèvements de la Terre l’a bien montré.

La question de la violence : principes et contextes

La question de la violence est complexe et doit être abordé avec discernement. Elle doit être discutée sans raccourcis ni dogmatisme, en défendant des principes inflexibles tout en prenant en compte la diversité des situations et des individus et collectifs impliqués. Bien sûr, face aux groupes fascistes qui veulent faire régner leur loi dans les villes et les quartiers, mener des lynchages racistes ou attaquer les organisations antiracistes et antifascistes, l’autodéfense populaire est nécessaire. Autre chose est de considérer que la lutte armée serait un outil incontournable de la transformation sociale-écologique. 

La violence structurelle du système capitaliste et patriarcal ne peut être surmontée que par d’intenses mobilisations populaires, incluant le recours à l’action extra-légale, à la désobéissance de masse et à l’autodéfense armée quand elle est clairement nécessaire et légitime. On peut donc s’attendre à des réactions violentes des groupes sociaux dont la domination est menacée. Le cas du Chili d’Allende est encore présent dans les mémoires. Aucune classe dominante n’a perdu le pouvoir sans se défendre par la violence.

Mais la nécessité d’une autodéfense face à la violence impérialiste, fasciste et contre-révolutionnaire n’implique pas d’adopter la stratégie de la guerre civile, de la guérilla ou de l’armement du peuple. D’une part, la mobilisation populaire massive et non violente peut constituer un facteur clé de division de l’armée, comme ce fut le cas dans la révolution iranienne de 1979 ou dans le cas de l’échec du putsch militaire contre Chavez en 2002. D’autre part, si le recours à la lutte armée a été et reste le plus souvent nécessaire dans les luttes de libération nationale, la question se pose différemment pour la transformation sociale-écologique. Celle-ci est un double processus de construction de sujets démocratiques et de constitution d’une société civile mobilisée ; d’émancipation individuelle et collective. Or la violence pousse à la suspension du jugement personnel et des droits démocratiques, à la fusion aveugle dans la discipline militaire, à l’identification aux chefs, au culte de la virilité.  Elle tend presque toujours à renforcer le patriarcat et marginaliser les femmes, dont la participation massive est à la fois une condition et une signature de tout grand mouvement émancipateur. 

L’articulation entre autodéfense, soin et émancipation

Il ne s’agit pas, bien au contraire, de condamner la résistance contre la répression étatique ou des factieux contre-révolutionnaires. Une révolution écologique et sociale doit passer par la construction d’une situation politique dans laquelle les masses populaires sont prêtes à se défendre contre la répression, par la force morale mais aussi la force matérielle et physique, et la contre-violence armée quand c’est nécessaire. Mais comme nous le faisons déjà, à une autre échelle, quand nous décidons de maintenir une manifestation interdite par l’Etat en organisant une autoprotection collective tout en assurant les conditions nécessaires à la présence du plus grand nombre, nous devons apprendre à allier dans toutes nos luttes autodéfense, soin, efficacité et émancipation.

Internationalisme et résistance

De même, notre internationalisme reconnaît et soutien le droit à la résistance, armée et non armée, face aux agressions et guerres impérialistes et au colonialisme. Cela a toujours été le cas, pour les luttes de libération nationale du XXe siècle comme pour les résistances aujourd’hui en Palestine et en Ukraine, notamment. Mais il est également fermement inflexible concernant les principes : nous condamnons tous les massacres de civils, sans exception, y compris quand ils s’inscrivent dans le cadre de la résistance légitime face aux oppresseurs. Et notre internationalisme est aussi lucide : nous savons que les armées constituent souvent, à un moment ou à un autre, un obstacle à l’émancipation des peuples qu’elles défendent. Nous savons aussi que la violence, bien que parfois nécessaire, peut-être, dans certains cas, contre-productive, notamment quand elle ressoude les forces adverses, délégitime la résistance populaire, ou expose la population civile à une vengeance meurtrière. Là aussi, la question des formes de l’autodéfense et de la contre-violence doivent être posés de manière autogestionnaire et égalitaire.

Pour une monde sans guerre

Nous défendons la perspective d’un monde sans guerre. Notre opposition absolue au bellicisme ne nous empêche pas de considérer que l’autodéfense populaire, armée si nécessaire, est parfois légitime lorsqu’il s’agit de défendre la paix, l’émancipation, le bien-être, la démocratie et les droits fondamentaux de toutes et tous, la construction d’une société débarrassée des dominations.

 

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