Quel est le sujet politique de la transformation sociale, écologique et démocratique ?

Le prolétariat – c’est-à-dire celleux qui n’ont d’autre choix que de vendre leur force de travail – constitue encore aujourd’hui l’immense majorité de la population. Cependant, le mouvement ouvrier organisé, autrefois moteur des grandes conquêtes sociales, a perdu une partie de sa puissance sous l’effet de la rétraction de l’industrie au profit des services, ainsi que des politiques néolibérales de précarisation et de mondialisation. Dans le même temps, d’autres mouvements sociaux émancipateurs ont émergé pour combattre des formes de domination imbriquées avec, mais irréductibles à, l’exploitation du travail salarié : les luttes féministes, antiracistes, écologistes, LGBTQIA+, ou encore antivalidistes.

Nous ne pouvons plus nous appuyer sur un sujet révolutionnaire unique et prédéfini. La transformation sociale-écologique-démocratique nécessitera de construire une nouvelle hégémonie collective, où toutes les luttes, bien que spécifiques, trouvent une égale dignité et convergent dans un combat commun pour l’émancipation. Ce combat vise à abolir l’exploitation, le pillage et toutes les dominations systémiques du capitalisme.

Une domination systémique plurielle

La question de la production reste centrale. Le capitalisme repose sur l’appropriation et l’exploitation du travail, mais également sur des systèmes de domination imbriqués qui maximisent son profit tout en légitimant ses mécanismes d’oppression. Cette domination systémique inclut :

  • L’oppression patriarcale et la norme hétérosexiste, qui permettent de réduire les coûts de la reproduction sociale en assignant aux femmes et aux minorités de genre la responsabilité invisible et souvent gratuite du travail domestique et de soin.
  • Le pillage colonial et le racisme systémique, qui justifient l’exploitation des peuples du Sud et des personnes racisées, tout en perpétuant des inégalités structurelles au sein des sociétés.
  • La destruction écologique, qui épuise les ressources naturelles, détruit les écosystèmes et menace les conditions mêmes de la vie sur Terre, sous l’effet combiné de l’extractivisme et du productivisme capitalistes.

Ces mécanismes sont interconnectés : l’exploitation de la nature, la subordination des femmes, l’asservissement des peuples racisés et l’oppression des minorités renforcent mutuellement les logiques d’appropriation et de domination du capitalisme. Ainsi, celleux qui s’opposent à l’exploitation du travail, à la destruction de la nature et aux différentes formes de domination sont tou·tes des sujets potentiels du « mouvement réel qui abolit l’état actuel des choses ».

Un « arc-en-ciel » des luttes

La force politique que nous voulons construire doit exprimer les aspirations de cette société civile mobilisée et plurielle, formant un « arc-en-ciel » des luttes. Cette convergence repose sur une reconnaissance fondamentale : les oppressions sont imbriquées et les combats pour y mettre fin sont indissociables.

Dans chaque mouvement – qu’il soit féministe, syndical, antiraciste, écologiste ou antivalidiste – il existe des composantes conscientes que leur lutte ne pourra réellement aboutir qu’en coopérant avec d’autres. Par exemple :

  • Les écologistes pour la justice sociale savent que la transition écologique est impossible sans égalité et sans lutte contre les inégalités de classe, de race et de genre.
  • Les syndicalistes soucieux d’écologie comprennent que le travail ne doit plus se faire au détriment des écosystèmes et qu’il faut redéfinir les finalités de la production.
  • Les féministes antiracistes reconnaissent que les oppressions patriarcales se croisent avec les discriminations raciales, notamment dans les quartiers populaires ou dans les sociétés post-coloniales.

Construire une telle convergence nécessite un cadre commun de pensée et d’action, constamment nourri par des discussions entre mouvements. Ces échanges doivent permettre de dépasser les logiques de cloisonnement et de compétition entre luttes, et de forger une solidarité active, fondée sur l’intersectionnalité et la mutualisation des expériences.

Ce système est notre ennemi commun

L’objectif de cette convergence est clair : abattre un système à la fois capitaliste, écocide, patriarcal, raciste, impérialiste et validiste. Ce système organise et reproduit :

  • L’exploitation économique, par l’appropriation des richesses créées par le travail des classes populaires.
  • La destruction du vivant, par le pillage des ressources et l’épuisement des écosystèmes.
  • Les oppressions sociales, par le maintien de rapports de domination basés sur le genre, la race et la validité.

La tâche est immense, mais elle repose sur une certitude : aucune de ces oppressions ne pourra être éliminée tant que les autres subsistent. La convergence des luttes est donc non seulement une nécessité stratégique, mais une condition de possibilité pour construire une société véritablement démocratique, égalitaire et écologique.

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Société civile

Le terme « société civile » est souvent récupéré par le néolibéralisme pour désigner une alliance entre multinationales et ONG « raisonnables ». Nous lui rendons son véritable sens : l’espace où les citoyen·nes s’organisent librement pour défendre leurs droits et leurs valeurs face aux dominations de l’État, du capitalisme, du patriarcat et du racisme.

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